Interview Joel de ROSNAY : Une envie de futur – William Monlouis-Félicite
Interview: William MONLOUIS-FELICITE – Photographie: Jean-Philippe BUCHER
Les questionnements sur le futur ne touchent pas que les jeunes. Avec ses 77 ans et une vie bien remplie, Joël de Rosnay, scientifique et humaniste, nourrit cette interrogation avec ses réflexions et ses ouvrages. Pour lui, l’émergence de la « société fluide » qu’il prône, sera le meilleur bouclier contre l’incertitude. Et la culture numérique sera le levier d’une démocratie plus participative…Cet interview a été réalisé ldans le cadre des RDV « Au pire ça marche » de l’Institut des Futurs souhaitables.
RS: Quel constat faites-vous du monde actuel ? En quoi le concept que vous portez de la société fluide est une réponse à cette société ?
JDR: Le monde actuel est un monde extrêmement compétitif, extrêmement pyramidal, voire individuel à la fois des personnes et des Etats. C’est donc un monde de l’égoïsme de la non tolérance, de la fermeture… un monde de non partage. La société fluide que je prône est une société de la solidarité, de la générosité de l’échange et du partage. C’est exactement le contraire de la société dans laquelle nous vivons aujourd’hui. Il s’agit de passer à une société de pouvoir transversal et de pouvoir partager qui favorisera l’adaptation au temps réel, aux dangers et à l’incertitude. Une société de rapports de flux favorisant l’échange d’information de culture, d’éducation et d’énergie qui nous conduit à la société fluide. L’écosystème informationnel, le « Peer to Peer » sont autant d’éléments d’une civilisation du numérique qui favoriseront son émergence. On pourrait parler de la naissance d’un cerveau planétaire et de l’avènement d’une nouvelle démocratie participative ouverte par la « culture numérique ».
RS: Vous diriez que la société fluide est vertueuse ?
JDR: Je ne sais pas si elle est vertueuse au sens de cercle vertueux mais elle crée du vertueux plus elle avance, si on arrive a la faire avancer. Le mot vertueux est un mot qui est trop chargé de valeurs aujourd’hui.
RS: Qu’est ce qui empêche l’émergence de cette société ?
JDR:Le pouvoir : pyramidal, politique, industriel, le pouvoir des Etats, le pouvoir économique, le pouvoir de quelques-uns par rapport a la masse des gens. C’est ce pouvoir qui freine l’émergence de cette société. Par ailleurs il faut donner aux gens des conseils de valeur. C’est ce que j’ai appelé dans mon dernier livre « Surfer la vie », les 7 piliers de la sagesse : Le respect de l’autre, le respect de la diversité, l’altruisme, la responsabilité individuelle et collective, l’empathie, l’amour fraternel et la spiritualité laïque.
RS: Un mot sur le concept d’épigénétique sociétale que vous avez développé. Quelles conditions pour sa mise en œuvre ?
JDR:L’épigénétique est la modulation des expressions des gènes grâce à notre comportement. A l’échelle sociétale, ce serait une commune compréhension de la complexité du monde dans laquelle on est, la compréhension des interdépendances, la compréhension des effets de leviers sur lesquels on peut agir pour démultiplier son action. Et donc, l’utilisation des réseaux pour agir dans des influences qui démultiplient les effets. Là, on peut arriver à cette épigénétique sociétale ; comme moi je peux démultiplier les effets dans mon corps grâce à la nutrition l’exercice, le management du stress, le plaisirs de ce que je fais, le réseau familial et social. Tout cela à un effet sur ma santé. En d’autres termes, il s’agit d’arriver à une stabilité dynamique, c’est-à-dire d’être capable de gérer la complexité par une combinaison de moyens. Alors j’espère que ce principe pourra avoir un effet sur la société.
RS: Comment donner envie du futur, en particulier aux jeunes dans un contexte de peurs, d’incertitude et de complexité ?
JDR: En venant par exemple à la Cité des sciences et de l’industrie et au palais de la découverte. Ça déclenchera l’envie d’en savoir plus et l’envie de comprendre encore mieux. Il s’agit de leur donner le goût et la volonté de préparer leur avenir.
RS: Qu’est ce qui vous donne des raisons de croire à la vertu créatrice de l’utopie ?
JDR:L’utopie c’est la capacité de se mettre ensemble pour décider de ce que l’on veut faire ensemble. Alors, on a créé la notion d’utopie pour empêcher que les gens soient organisés, pour prendre le pouvoir de ceux qui sont censés nous diriger. Ces pouvoirs ont détesté les utopistes et ont rendu ce mot péjoratif. La meilleure façon de prédire l’avenir est de l’inventer.
Interview: William MONLOUIS-FELICITE – Photographie: Jean-Philippe BUCHER
Bio express
Joël de Rosnay, Docteur ès Sciences, est Président exécutif de Biotics International et Conseiller de la Présidente de la Cité des Sciences et de l’Industrie de la Villette. Il en a été le Directeur de la Prospective et de l’Evaluation jusqu’en juillet 2002 . Entre 1975 et 1984, il a été Directeur des Applications de la Recherche à l’Institut Pasteur.
Ancien chercheur et enseignant au Massachusetts Institute of Technology (MIT) dans le domaine de la biologie et de l’informatique, il a été successivement Attaché Scientifique auprès de l’Ambassade de France aux Etats-Unis et Directeur Scientifique à la Société Européenne pour le Développement des Entreprises (société de « Venture capital »).
Il a été chroniqueur scientifique à Europe1 de 1987 à 1995 et auteur de plus d’une dizaine d’ouvrages scientifiques destinés à un large public, dont « Les origines de la vie » (1965), « La Malbouffe » (1979) ryt bien d’autres, son dernier livre « Surfer la Vie » est paru aux éditions LLL en 2012.
Lauréat du Prix de l’Information scientifique 1990 de l’Académie des Sciences et du prix Benjamin Constant des Arts de la Communication 1994 de la Société d’Encouragement de l’Industrie Nationale, Joël de Rosnay a été élu « Personnalité numérique de l’année 2012 » par l’Acsel (Association pour l’économie numérique).
Biologiste, spécialiste des origines du vivant, c’est un pionnier de la sytémique, un scientifique pédagogue et humaniste.
Pour en savoir plus sur Joël de Rosnay : http://www.carrefour-du-futur.com/