Eloge de la transversalité et de l’intelligence collective – A.Rey, J.Lorenceau et Jean-Luc Schwartz (Extrait le monde.fr)
L’ère anthropocène vers laquelle nous semblons cheminer imperceptiblement, tout en annonçant des dérèglements climatiques majeurs résultant du développement prodigieux de l’activité et de la présence humaine sur terre, se caractérise dans le même temps par une expansion exponentielle du champ des savoirs ainsi que par une compréhension croissante du monde et des êtres qui nous entourent.
Cependant, cette accélération de l’accumulation des connaissances s’accompagne presque inévitablement d’une forme de fragmentation des savoirs. Si les scientifiques du XVIII siècle pouvaient s’adonner à la fois aux mathématiques, à la physique, à la biologie pour flirter en dernier lieu avec l’indomptable philosophie et rêver ainsi d’un regard encyclopédique, ceux du XXI siècle s’écartent bien souvent de cette figure omnisciente ou polysciente au profit d’une spécialisation toujours plus focale.
Au sein même de chaque champ disciplinaire, l’accroissement des supports de publication, que l’essor d’Internet ne fait que démultiplier chaque jour, pose la question de la sélection et du tri des informations afin que le spécialiste surnage face au flux océanique des communications scientifiques. De même, la venue sur la scène mondiale de structures de recherche de pointe dans bon nombre de pays émergents semble accentuer cette tendance à l’hyperspécialisation, même si ce rééquilibrage de l’économie cognitive mondiale est également porteur de nouvelles opportunités de frottements des cultures qui draineront assurément de nouvelles conceptions de l’humain et de son monde.
Dans notre pays, la mise en place récente de structures d’évaluation de la recherche donne au scientifique une raison de plus d’adopter une spécialisation toujours plus aigue car moins risquée, mieux identifiée et plus payante en termes de reconnaissance institutionnelle et de progression de carrière. De même, les récentes récompenses individualisées dont nos institutions se sont dotées pour encourager les plus méritants ou les plus productifs (les primes d’excellence), en oubliant ou en négligeant la dimension collective de tout travail de recherche….lire la suite